** FLASHBACK**
24 décembre 1975… - Haa… je ne t’entends pas très bien… tu ne peux pas revenir avant QUOI !?... oui … OUI… la route est coupée… les vivres commencent à manquer… haa… ne t’inquiète pas… d’accord… d’accord… prends soin de toi… han… couvre toi bien… haa… ne veille pas tard… d’accord… oui… ne.. ne t’inquiète pas… je m’en occupe… je t’aime !
Aliya raccroche et demande au seul administrateur de la poste combien avait coûté sa conversation téléphonique. elle remet son grand sac plein de provision sur son épaule, porte un autre sur un ventre formé par une grossesse pas encore à terme et quitte le bureau de poste pour reprendre la longue route vers le village sous une pluie battante qui lui plaquait les cheveux sur la visage. Petite et mince, elle était assez charmante dans son sari orange aux bordures vertes qui lui donnait l’allure d’une « dame » parmi les siens. elle marchait d’un pas rapide à travers les champs avant la tombée de la nuit. La pluie ne s’était pas arrêtée depuis des jours et la route menant à la ville était coupé par la multitude d’arbres que l’orage avait fait tomber.
Au téléphone, elle prenait des nouvelles de son mari qui parti pour la capitale pour se réapprovisionner en médicaments s’est retrouvé coincé par la tempête qui frappait toute cette zone du pays. Elle sourit encore en repensant à sa voix alarmée en lui dictant toutes les précautions à prendre en son absence, c’était plus pour lui qu’elle s’inquiétait… ces pauvres enfants de la ville sont si fragiles se disait elle encore.
Arrivant dans son village, elle voit les voisins qui barricadaient leur logement de fortunes, les vents doublaient de vitesses et les maisons n’étaient pas assez solides pour y résister. Habitant dans la plus prestigieuse demeure du coin, elle essayait de compter le nombre de personnes qu’elle pouvait accueillir pour la nuit sous son toit, elle ne pourrait pas tous les aider, mais au moins minimiser le nombre de victimes.
elle atteint enfin sa maison le souffle court, quelques femmes avec leur enfants l’attendaient dans la cours déjà… quelques blessures à cause des chutes et les rhumes…
- Il va falloir commencer à découper vos lambeaux de saris mes dames, nous commençons à manquer de pansements… lance-t-elle en leur ouvrant la porte.
Elle rallait comme à son habitude, mais savait pertinemment que si on venait la voir si qu’on n’avait pas trop le choix. Seulement cette fois, ce n’était pas des paroles en l’air, si Zahir ne rentrait pas dans les jours qui viennent, elle n’aurait plus de quoi soigner qui que ce soit.
Du sirop pour les uns, une infusion pour les autres… elle est payée la plus part du temps par du lait de chèvre ou un panier d’œuf, mais ces jours ci, même les bêtes ont besoin de soin.
Deux heures après, elle trouve enfin le temps de s’assoir, une main sur son bassin qui lui faisait un mal de chien, elle essaie de le masser tout en caressant son ventre de son autre main, elle sourit en sentant un coup le faire bouger…
- Tout doux mon garçon, je sais que ton père dit que je dois me reposer, mais tu vois ces pauvres gens… que ferais tu à ma place, hein ?
Le soir arrivait bien vite en ces jours gris, elle va allumer une bougie près de la fenêtre quand un éclair déchire le ciel lui donnant une vision furtive du palais sur la colline éclairé de guirlandes de mille couleurs.
Palais des Chowdery :
La longue allée menant à la demeure familiale où des jets d’eau venaient défier les cordes de pluie tombant du ciel était éclairée de mille feux. Le froid glacial qui y régnait contrastait avec la chaleur ressentie aussitôt la porte franchie. Une grande salle décorée par des sapins somptueux dans tous les recoins où diverses guirlandes brillaient de toutes couleurs. Les invités, un verre à la main discutaient en petit groupe ici et là… ceux là, dans leur costumes trois pièces parlaient des cours de bourse de la journée, celles-ci, dans leurs somptueuses robes de soirée parlaient de leur dernières vacances en Europe.
Beaucoup étaient habillés de sherwani et de saris aussi, quelques uns ne comprenaient même pas hindi contrastant avec leur teint trop pale et leur chevelure dorée avec le reste des convives.
Yash Chowdery, en sherwani bleu et grande écharpe blanche discutait près de la cheminée avec le premier ministre qui était en visite dans l’état, ils ne tardent pas à être rejoint par le gouverneur. Absorbés par un grand débat sur l’approche à prendre lors de la compagne électorale démarrant juste après les fêtes, ils prêtent peu d’attention à ceux qui les entourent.
Quand Kamal-ji descend enfin le grand escalier pour rejoindre ses invités, son mari va à sa rencontre pour l’aider en lui tendant une main suscitant la jalousie de plus d’une femme présente. Peu lui importait, au-delà de sa galanterie légendaire et l’amour et respect qu’il portait à sa femme, c’est surtout son état qui le préoccupait. Entamant son neuvième mois de grossesse, elle était plus belle que jamais dans son sari rose pâle serti de dorure allant avec ses bijoux.
Aussitôt, le diner est servi et les Chowdery s’installent de part et d’autre d’une longue table rassemblant tous les invités, les mets se suivent et les discussions aussi. On faisait remarquer en se moquant au député à l’assemblé représentant l’état qu’il abusait un peu trop des bons mets et du bon vin. Déjà à un état d’ébriété bien avancé, il en redemande en riant de leurs blagues.
Quand le diner fut terminé, les hôtes ouvrent le bal de danse avec une valse vertigineuse. La piste de danse ne tarde pas à être investie par les autres convives, la soirée commençait à peine et ça promettait de ne pas finir… puisqu’à cause de la tempête, personne ne va repartir.
***
Au village, Aliyah essaie de mettre de l’ordre dans ses convives improvisés. Pour la plus part des femmes accompagnées de leurs enfants dont les maris sont absents ou encore inexistants, cela lui importait peu. Le diner se résume en une coupelle de soupe bien chaude sous les fines lumières des bougies. Le bruit des branches d’arbres tapant sur les volets sous la force des vents donne l’impression d’être plonger dans une angoissante maison de film d’horreur ce qui fait peur à quelques enfants qui commencent à pleurer. Quelques vieillards commencent à râler en réclamant le silence pour dormir… Une vieille femme commence à entonner une chanson de noël qu’elle avait apprise dans son enfance en travaillant chez les anglais.
- « Douce nuit… sainte nuit… »
Quelques enfants répètent après elle le couplet et bientôt toute la maisonnée était bercée de chants tantôt traditionnel, tantôt venant d’ailleurs, surplombant avec joie les bruit de la nature qui se déchaînait dehors.
Aliyah, serrant la photo de son mari contre sa poitrine souriait les larmes aux yeux. ce ne fut pas facile de faire accepter son mariage à sa communauté, tout comme il n’avait pas réussit à convaincre les siens de son amour. Maintenant, un an à peine après son mariage, elle ne se souvient plus de cette vie qu’elle avait eu autre fois. Pourtant, elle n’était pas joyeuse, orpheline et sans frère et sœur, elle n’avait pour toit qu’une grange. Aujourd’hui, femme du docteur habitant dans la seule vraie maison de tout le village, occupée dans ses trois quart par le cabinet médical, elle pouvait se vanter d’être la femme la plus respectée parmi les siens… voire même, misérablement, la plus riche.
La maison construite par les fonds dirigés à cette compagne de santé pour cette tranche de la population comportait deux étages, le rez de chaussée était entièrement consacré au cabinet médical : bureau du médecin, salle de premier secours, une salle de soin en plus d’une chambre de malade. A l’étage se trouvait son logement de fonction dont il n’utilise qu’une chambre et un petit salon, le reste est consacré au stockage des médicaments en plus d’une pièce stérilisée pour les mini chirurgies qu’il pouvait effectuer sur place. Sans grand luxe, la demeure est décorée sobrement avec des couleurs dans le bleu clair. Aliyah prenait le soin de décorer leur chambres avec des ornements qu’elle faisait elle-même, coussin, couvertures, tentures… quelques bibelots taillés dans la pierre… de quoi faire une petit foyer familiale qui faisait oublier en fermant la porte derrière soit, le mal et l’agonie enfermés dans ces murs.
Elle caresse de sa main son ventre, en début de septième mois, on voyait à peine son ventre arrondi tant elle était mince. Elle n’a rien préparé pour le bébé pour le moment, mais elle ne s’inquiétait pas, il restait assez de temps encore. Faut dire qu’ayant fait accoucher des dizaines de femmes depuis des années, là en se retrouvant de l’autre côté, elle ne sait pas trop ce qu’il faut faire.
Elle se rappelle encore la réaction de Zahir quand il avait appris qu’elle attendait leur premier enfant… de bonheur, il la fit virevolter en la prenant dans ses bras et riant aux éclats ne prêtant pas attention aux patients qui attendaient dans la cours et qui le prenait pour un fou. Il était allé dans la journée même couper du bon bois pour sculpter le lit du bébé… le bois qui est toujours entassé dans un coin de leur chambre, pense-t-elle en ricanant.
Un coup d’œil dehors encore, elle prie intérieurement pour que la tempête s’arrête et qu’il revienne. Depuis son départ, une boule lui nouait l’estomac comme un mauvais pressentiment…
***
Chez les Chowdery, un peu éloigné de la piste de danse où ondulaient quelques couples aux mélodieux rythme de la musique classique jouée par un orchestre philarmonique, Yash et ses amis discutaient encore politique autour du feu de la cheminée.
- … On peut prévoir de construire une plus grande école, l’ancienne ne suffit pas à la moitié des enfants la bas !
Yash pointait le doigt sur les problèmes du village délabré de l’autre côté du lac. Comme chaque année, sans être chrétiens, les Chowdery organisent cette fête restée du folklore après le départ des anglais, pour rassemble les notables de la région et quelques prestigieux invités. A l’arrivée de la nouvelle année, les temps étaient à la mise en place des programmes à suivre.
- Tu es encore si prévenant, cher ami ! répond maître Mohinder, avocat du barreau à la capitale.
- Il est surtout soucieux du pourcentage dans les élections qui arrivent, ils représentent quand même une communauté qui a son poids dans les urnes… surenchérit avec un sourire ironique le gouverneur.
- Je n’arrive toujours pas à croire qu’ils peuvent voter ces gens là !
Le député parlementaire Rakesh Dewan ne s’est jamais caché de son intolérance envers les Dalits, qu’il était le seul à continuer à nommer « intouchables ». il entamait sa troisième bouteille de la soirée et avec son nez rougis et ses yeux de sang, il ressemblait plus à un ivrogne qu’à un homme politique respectable en se dandinant mollement entre chaque groupe d’invités.
- La constitution leur donne ce droit, cher ami… n’en sommes nous pas les garants ?
Yash, peu enclin à ce genre de discours extrémistes, essaie de ne pas entrer dans un débat de fond avec un homme dont la plus grande partie de son bon sens venait de finir dans le fond de verre qu’il engloutissait.
- Quelle me*de !... laisse tes beaux discours à tes électeurs Chowdery, ne joue pas les humanistes, tu n’es pas mieux dans ta manière de penser, la seule différence, c’est que moi je dis tout haut, ce que nous tous pensons tout bas… termine-t-il en levant son verre avec un rire bien sonore qui irritait son hôte.
Le gouverneur, proche ami du député, essaie de recadrer la discussion.
- N’empêche qu’il n’a pas tort, regarde le succès de la compagne de santé annoncée il y a quelques années… si on joue sur le système éducatif cette fois, ça va attirer encore plus de population…
- Ou non… ils préfèrent envoyer leurs enfants travailler et apporter de l’argent plus tôt qu’à l’école, précise maître Mohinder.
- Justement… c’est à nous aussi de jouer sur ça… il est grand temps d’essayer de changer les choses.
- L’idée n’est pas mal Yash, reste à savoir la mettre en marche avec subtilité… termine le président du parti politique au pouvoir.
- Amen ! dit Rakesh théâtralement en levant son verre pour un toast avant d’ajouter faisant rire ses compagnons :
- Tu sais ce qui manque dans ta fête, Chowdery ?... les femmes... si tu voix ce que je veux dire !
- Je voix surtout que tu commences à moins tenir à l’alcool Rakesh… pas sur que ta femme apprécie cela… lui fait remarquer le gouverneur.
- Ni la mienne ! ajoute Yash en se retournant vers sa femme, qui comme sentant son regard sur elle, elle se retourne aussi et lui sourit.
Dans cette culture où les hommes ne sont pas spécialement expressifs en ce qui concerne les sentiments, elle pouvait se vanter d’avoir un mari tendre et attentionné tout en étant intraitable sur ses principes.
Elle était née dans une famille de descendance royale dans le centre de Manipur, lui d’origine aristocrate, l’avait rencontré lors de la célébration de la naissance de l’Etat du Manipur il y a trois ans. Kamalkali, jeune princesse n’ayant plus vraiment de titre mais grandissant dans les vieilles traditions du pays s’était bien gardée de lui montrer son intérêt préférant jouer l’indifférence. Lui, revenant à peine de l’Angleterre après avoir fini ses études en sciences politiques et droit international, jouait au gentleman anglais qui courtisait toutes les belles filles présentes dans la soirée sauf elle. Avant que la fête ne soit finie, les deux familles s’étaient déjà mises d’accord sur le mariage.
Elle écoutait d’une oreille distraite les conversations superficielles de ses amies de la société, ne partageant guère leur goût pour l’extravagance, encore moins celle de cet homme qu’elle avait surpris à plus d’une reprise regarder indécemment une invité dont le mari n’était pas loin. Un comportement qui lui donnait la nausée… à moins que ça soit autre chose.
Depuis le matin, elle ne se sentait pas très bien, ayant un mal au dos insupportable et son estomac est tellement retourné qu’elle a à peine touché à son diner. Elle se reprend vite et affiche son plus beau sourire devant le regard angoissé de son mari face à son teint livide et ses yeux fatigués. Sa prochaine consultation avec son médecin est programme pour la semaine prochaine, peut être faudrait il l’appeler demain pour qu’il vienne voir… seulement ces intempéries ne s’arrêtent pas…
- Ha !
Un mal fulgurant dans le bas du ventre la fait crié sans se rendre compte, une douleur déchirante frappe son bassin et avant même de reprendre son souffle, un deuxième coup se suit…
- Haa…
Yash accourt pour la voir, deux servantes aussi… il s’alarme en lui prenant la main :
- Que se passe-t-il ? Kamal ? répond moi…
- Ji… HA… Yash… au secours… je crois que je vais mourir…
Elle avait du mal à respirer et crispait sa main sur son ventre, ne tenant plus sur ses jambes, elle est à peine rattrapée par ses mains avant qu’elle tombe. Il la prend dans ses bras et la monte dans leur chambre.
Elle ne répondait plus à ses questions, essayant de reprendre son souffle entre deux vague de douleur, des larmes silencieuses ruisselaient sur ses joues.
Yash essaie de téléphoner au médecin, mais ça ne passait pas. Une servante lui rappelle qu’il y en avait dans le village mais la route était coupée…
- Je m’en fiche, dit à Ramdas d’aller le chercher… MAINTENANT !!!
***
En découvrant l’intendant des Maîtres taper à la porte de sa maison à presque une heure du matin, Aliyah était choquée ! haletant et mouillé jusqu’à l’os, Ramdas ne prit même pas la peine de la regarder… il cherchait du regard derrière elle.
- Ji !?
- Votre mari… le docteur… il faut qu…
- Je suis désolée, mais mon mari est absent, il ne rentre pas avant la fin de la tempête…
- NON !!!
Le vieille homme cria tellement qu’il réveilla toute la maison, s’essuyant le visage et les cheveux avec les mains, il récite une prière entre ses lèvres en joignant les mains en l’air… sur le point de repartir, Aliyah l’arrête :
- Que se passe-t-il ?
- C’est madame… elle n’est pas bien… que Dieu nous préserve… que vais-je dire à Yash-ji ?
- Elle est malade ?
- Elle attend un enfant… mais ce n’est pas encore l’heure… comment vais-je…
Le reste de sa phrase n’était plus audible, il tourna les talons et s’apprêta à reprendre son chemin quand elle le rappela :
- Attedez… je viens avec vous !
Elle retourna prendre une trousse médicale dans le cabinet et laissa les clefs à une des dames dans le salon avant de sortir avec lui sous la pluie et les orages. Pressant le pas en essayant de ne pas glisser dans le sentier cabossé et boueux qu’elle ne reconnaissait pas… c’est vrai que jamais elle n’avait pris la route menant au manoir Chowdery !
***
En franchissant le grand portail en bronze menant au manoir Chowdery, Aliyah sent le sol vaciller sous ses pieds… est elle vraiment là !? ses pas hésitant font devancer Ramdas de quelques mètres déjà et bientôt il atteint en courant l’entrée de la maison. Il se retourne vers elle et lui demande de presser le pas mais se souvient enfin qui elle était et surtout de son statut.
- Attendez ici… l’arrête-t-il en bas des marches avant de disparaitre à l’intérieur.
Elle essuie son visage pour dégager sa vue brouillé par la pluie qui s’est rabattue sur eux tout le long de leur trajet. Devant la féérie du spectacle, elle se rend compte qu’il suffit de quelques mètres pour changer de terre !
Sous l’ordre du major d’homme une servante va chercher Yash ji à l’étage où il n’avait pas quitté le chevet de sa femme. Quelques invités étaient encore dans la grande salle en train de discuter, la plus part s’étaient retirés dans leurs appartements. Voyant son air menaçant en le voyant seul, il s’empresse d’expliquer :
- Ji… le docteur est absent
- QUOI !
- Ha… ji… mais, sa femme est venue avec moi… elle sait ce qu’il faut faire…
- Comme s’il suffisait de vivre avec un médecin pour le devenir… tu vas finir propriétaire aussi à ce rythme !
Si l’expression a amusé les invités, Ramdas savait pertinemment que le maitre était sérieux. Il déglutit difficilement et explique :
- Non ji… il est… je veux dire, que cette femme était accoucheuse avant que le médecin arrive dans le village…
Devant le silence de son maitre, Ramdas ose enfin lever les yeux pour le voir, il le découvre le visage crispé de colère. Il ouvre la bouche pour lui dire que s’il n’en voulait pas, il allait la congédié mais se ravise. Mieux vaut attendre la sentence que la provoquer. Un cri de douleur émanant de l’étage rompt le silence pesant qui s’était installé.
Yash lève les yeux vers l’escalier et pousse un long soupire avant de lui faire signe de se dégager, il voit alors Aliyah qui grelottait de froid sous la pluie dehors essayant de se réchauffer en frottant ses bras… un autre cri retentit attirant l’attention de la jeune femme qui lève la tête, mais croisant le regard du maitre, elle la baisse aussitôt.
- Ramène là en haut… finit-il par dire avant de monter à l’étage.
En la guidant à la chambre de la dame, Ramdas lui explique les règles d’usage, ne jamais parler directement au maitre, ne jamais le couper quand il parle, ne pas le regarder de face, ne surtout pas le toucher !
- Hé laddoo… les maharaja sont partis depuis longtemps ! le coupe-t-elle, excédée avant de rajouter :
- N’ayez crainte, nous autres Dalit savons nous tenir en présence des maitres…
Ils arrivent à la chambre où Kamalkali se débâtait contre le mal qui la rongeait de l’intérieur. Son mari assis à son chevet lui tenait la main en essayant de la calmer. Elle s’éclaircit la voix pour faire savoir sa présence, Ramdas s’était arrêté plus loin dans le couloir.
- Kamal… tout ira bien, ne t’inquiète pas… regarde, cette… cette femme va t’aider.
Lorsqu’elle tourne la tête pour voir de qui elle parlait, sa main se crispe pour celle de son mari, elle tourne son visage de l’autre côté et se met à sangloter. Il lui caresse les cheveux et s’approche d’elle pour murmurer à son oreille :
- Chut… ce n’est rien, l’essentiel est que tu ailles bien…
- Je suis désolée… souffle-t-elle en le regardant
Pour toute réponse, il dépose un tendre baiser sur sa tempe avant de se lever et s’en aller en faisant signe à la servante de rester dans la chambre, il passe à côté d’Aliyah sans la regarder et se tourne une dernière fois vers sa femme avant de franchir la porte, une nouvelle vague de douleur la submergeait… il sortit rapidement, ne supportant plus de la voir autant souffrir.
Aliyah accourt vers la dame pour la redresser un peu lui permettant de mieux gérer la douleur, celle-ci lui tendant d’abord la main trop absorbée par son mal, se dégage vivement aussitôt se sentant soulagée. Peu embarrassée, Aliyah se tourne vers la servante pour lui demander de ramener de l’eau chaude et des serviettes propres.
Elle ouvre sa trousse médicale et sort un stéthoscope et un tensiomètre. elle n’était pas médecin, mais franchement, ce genre de mesures sont prises par les assistants. Voyant la dame serrer ses poings sur les couvertures, elle se précipite vers elle pour lui prendre la main et l’aider à se redresser un peu et mime le rythme de respiration qu’il faut prendre. La douleur passe et Kamal retire encore une fois sa main sèchement.
- Désolée madame, mais ça ne peut se faire sans vous toucher… dit elle en mettant son stéthoscope sur sa poitrine.
Elle découvre ensuite son ventre pour écouter le rythme cardiaque du bébé, devant le visage alarmé de sa patiente, elle sourit en lui disant :
- Ne vous inquiétez pas, madame. Le jeune maitre a juste décidé de venir un peu plutôt.
- Il restait encore trois semaines…
- Y en a même qui viennent avec trois mois d’avance !
La servante revenait avec une grande bassine d’eau et une pile de serviettes sous le bras. Aliyah finissant de prendre la tension de la dame va mouiller une serviette et lui mettre sous la nuque, l’aidant ainsi à se détendre. Elle lui demande si elle avait perdu les eaux, mais voyant qu’elle ne comprenait pas de quoi elle parlait, elle déduit que non. Elle passe ses mains sous les couvertures pour vérifier avant de se tourner vers la servante et lui demander :
- Allez faire une tisane chaude de cannelle, ajoutez y des bâtonnets de… attendez, montrez moi juste la cuisine !
Cette fois, Kamal la retient en s’agrippant à son bras, elle tremblait.
- Ne vous inquiétez pas, madame. Je reviens vite…
- Mais si une nouvelle douleur arrive ?
- Ah ça madame… ça ne fera qu’arriver et de plus en plus… mais c’est normal
Voyant son expression angoissée, elle lui prend la main entre les sienne et lui dit en souriant :
- Pensez à votre bébé qui va bientôt se bercer dans vos bras… le reste je m’en occupe.
En sortant, elle trouve Ramdas qui attendait encore dans le couloir
- Le bébé arrive… seulement, si la poche des eaux ne se rompt, ça risque de créer des complications. Elle est où la cuisine ?
Il l’y guide et va donner les nouvelles à Yash ji qui tournait dans la salle devant la cheminée comme un lion en cage.
En sortant, Aliyah se heurte à quelqu’un sur son passage et manque de peu de verser son breuvage, croyant d’abord que c’était Ramdas elle commence à lui crier dessus, mais découvre un homme en costume qui sortait de la salle de bain à côté… c’était le député.
- Euh… désolée, ji… désolée… je suis vraiment…
Elle répétait ses excuses avant de s’en aller, mais Rakesh lui barre le passage en la plaquant au mur, elle détourne sa tête se sentant nauséeuse à cause de son halène puant l’alcool.
- Pas si vite ma jolie !... tu sais qui viens-tu de toucher, intouchable !
- Ji… encore une fois désolée… je… je ne vous avez pas vu…
- Ah bon… et ça tu l’as vu, hein !??
Il se plaque contre elle à presque l’écraser contre le mur en lui tenant le visage de sa grosse main, l’obligeant à le regarder. Elle se débat vivement sans succès, alors, elle lui jette la tasse de tisane chaude à la figure… sentant le breuvage le bruler, le politique lui afflige une gifle du revers de sa main la jetant à terre… s’apprêtant à lui donner des coups de pieds, il s’arrête en entendant la voix de Yash retentir derrière lui :
- Que se passe-t-il ici !?
- Ah cher ami… ce n’est rien, cette petite sotte a malencontreusement trébuché en sortant de la cuisine.
Peu convaincu, le maitre regarde Aliyah qui essayait de se relever en remettant de l’ordre dans ses vêtements. Elle regarde le député d’un air menaçant, mais finit par se lever et dire :
- Je vais refaire de la tisane rapidement…
Quelques minutes plus tard, elle était de retour près de sa patiente…
Dans le salon, Yash serrant son verre vide dans la main restait debout devant sa cheminée, les cris se succédaient, les silences aussi… encore des cris, plus fort… plus rapprochés… Enfin, un nouveau cri arrive… doux, mélodieux… Rohan !
***
Le jour se levait à peine quand Aliyah quittait le manoir Chowdery en direction de son monde à elle. Après s’être assurée que la maman allait bien et que son bébé se portait comme un charme, elle voulait partir le plus rapidement possible. L’euphorie de la venue du petit Rohan qu’ils espéraient depuis si longtemps ne durerait pas longtemps… ainsi les maitres redeviendraient maitres et les dalits restent toujours dalits.
Sur la route, elle repensait avec un sourire au bonheur de la maman en tenant son bébé dans les bras. Pourtant habituée à ce genre de spectacle, elle n’avait pas pu retenir une larme qui roula sur sa joue. Une main sur le ventre, elle sentit son cœur se gonfler de tendresse.
Le papa lui n’attendant même pas que la servante vienne lui annoncer la nouvelle, s’était rué sur la chambre et à sa grande surprise c’est vers sa femme qu’il alla, demandant si elle se sentait bien avant de déposer un doux baiser sur son front… ses yeux cherchaient alors le fruit de tant d’attente.
Aliyah l’avait lavé et finissait de l’habiller, emmitouflé dans un soyeux habit en robe blanche brodée à la main, Rohan avait vraiment l’air d’un prince.
Elle tendit à la servante pour qu’elle le lui donne, mais Kamalkali s’exclama :
- Non ! c’est à toi Aliyah de le faire… c’est grâce à elle que nous avons survécu à cette nuit… ce bonheur là, nous lui devons… finit elle en s’adressant à son mari.
D’abord hésitant, Yash finit par tendre ses bras vers elle pour accueillir son adorable fardeau.
- Votre fils, ji…
Elle n’eut aucun mal à sentir son souffle se couper sur ces mots, quand ses yeux mouillés se posèrent sur le petit ange, ses lèvres prononcèrent une prière inaudible.
Sur le point de partir, il lui fit signe de patienter, fouilla pendant quelques secondes dans sa nuque avant de sortir une longue chaine en or et l’enleva. Elle eut du mal à comprendre ce qui se passait jusqu’à ce qu’il lui tende en la remerciant :
- Cette chaine appartient à ma famille depuis des générations… ceci fait de toi, ainsi que des tiens des membres de ma famille.
Son cœur battait encore la chamade en y repensant alors qu’elle arrivait au bord du lac. Son précieux présent serré au creux de sa main, elle décida de faire une halte. Maintenant que ces évènements sont passés, elle se rendait compte qu’elle tombait de fatigue et qu’une bonne nuit de sommeille lui ferait le plus grand bien.
Seulement la nuit était passée, le jour n’allait pas tarder à se lever et la ligne cassée de l’horizon derrière son village se dessinant face à elle commençait à s’éclaircir. Ça promettait une belle journée…
L’idée que Zahir allait enfin pouvoir rentrer lui donna un radieux sourire, un coup dans son ventre y répondit :
- Haa… je sais, il me manque aussi… tu penses qu’il me croira quand je lui racontr…
Sa phrase fut coupée par une main qui lui empoigna le bras sans ménagement. En se retournant, le visage lui faisant face la choqua…
***
Zahir descend à la station de bus près du grand marché. Chargé de deux grands paquets plein de médicaments, la route vers le village lui semble encore bien loin. Passant devant un étalage de vêtement, il ne peut s’empêcher d’acheter un sari à sa femme… il se traite d’idiot de pas y avoir pensé en ville.
En repartant, une grenouillère pour bébé de couleur blanche lui tape à l’œil, il se dit qu’il y avait encore du temps pour y songer et continue son chemin… mais au bout de quelques pas, il revient pour la prendre.
Il prend alors la route menant au village sur une terre boueuse et sous un soleil de plombs. Dire qu’hier encore une tempête se déchainait dans la région. Aujourd’hui, il n’en reste que ses séquelles, arbres abattus, talus écroulé, routes coupées… trois heures suffisaient d’habitude pour rentrer, aujourd’hui il lui faut toute la matinée avant d’entrer dans le village en début d’après midi.
Il est alors frappé par un paysage insolite, au-delà des morceaux de bois et gravats jonchant le sol comme chaque hiver, le village était inhabituellement… vide.
- Quelqu’un est il mort ?
Se demande-t-il en arrivant presque chez lui puisqu’en général tout le village se déplace pour le service funèbre d’un des habitants. Son idée se confirme en arrivant devant chez lui où une foule était rassemblée. La vague de chuchotement et regards insistants qu’il reçoit en la traversant lui fait penser que c’était peut être à cause de son absence… il les regarde s’attendant à ce qu’ils lui disent quelque chose en vain. Il franchit enfin le seuil de sa porte et le spectacle qu’il avait au milieu de la salle le stoppe net. Les paquets sous ses bras tombent à terre dans uns fracas assourdissant.
Aliyah, allongée les yeux clos sur un lit au milieu de la grande pièce est méconnaissable. Son visage n’est plus que bleu et plaies et un draps tâché de sang la couvrait jusqu’aux épaules dont le haut parait greffé et lacéré. Une voisine, un linge mouillé dans les mains, lui lave un bras ecchymosé… elle est immobile… inerte…
- Aliyah ! murmure-t-il les yeux écarquillés.
il s’avance vers elle à pas longs, la pensée qu’il l’avait perdue à jamais paralysait ses sens et bientôt les battements de son cœur tant il cognait dans sa poitrine. De plus près, il découvre l’ampleur de ce que son visage avait subis, ses yeux errent sur elle cherchant un point de repère lui rappelant ce qu’elle était avant et de chaudes larmes les remplissent.
D’une main tremblante, il effleure son front pour dégager une mèche couvrant un gonflement bleuâtre… le long gémissement qu’elle pousse a raison de toute forces le tenant encore debout. Ne sachant si c’était par peine de la voir dans cet état ou par bonheur de la savoir respirer encore, il tomba sur ses genoux à son chevet et se mit à sangloter comme un enfant…
Des pleurs lui répondent… des pleurs de bébé…! en relevant la tête, il voit que ça venait de ce que la voisine venait de redéposer sur la poitrine de sa femme. Enveloppé dans ce qui restait du sari de sa mère ensanglanté, le bébé criait réclamant par instinct son sein.
Il était de coutumes dans certains peuple de laisser le nouveau né avec sa mère mourante, en prenant son sein, il ne tardait pas à la suivre, surtout que là il est né bien avant terme.
Zahir ne réagit pas, il regardait impassible ce spectacle de désolation, n’entendant même pas certaines femmes dire derrière lui :
« Ce bébé est un malheur pour cette pauvre fille… C’est la colère des dieux… elle n’aurait pas du les défier en l’épousant… qui pourrait l’accepter… »
- Eh… Zahir… eh…
La voix de sa femme le tire de sa torpeur, elle gémissait tellement que personne ne l’entend. Il s’approche d’elle, n’entendant pas ce qu’elle disait, il se penche encore à presque coller son oreille à sa bouche.
- Eh… ne… ne les laisse pas le tuer… ne veux tu… eh… pas … prendre ton bébé… eh… dans tes bras…
Elle réussit à peine à ouvrir les yeux… le voyant prendre cette petite créature dans ses mains, un presque sourire apparait sur ses lèvres.
- C’est… eh… garçon ?
La voisine lui confirme que oui d’un signe de la tête, il tend un doigt vers son visage pour le caresser… il était la plus belle chose qu’il avait vu de toute sa vie. Le bébé sentant la caresse sur sa joue, se tourne et se met à sucer le doigt de son père… il avait faim… il relève la tête pour le dire à Aliyah, elle avait encore sombré…
***
Chez les Chowdery, la plus part des invités étaient repartis dans la matinée où en début d’après midi, laissant les heureux parents profiter de leur bonheur tranquillement.
Yash avait offert aux domestiques deux mois de paie et divers présents pour fêter l’arrivée de son fils et a ordonné de démarrer les préparatifs pour la cérémonie de rite qui se tiendra dans une semaine en présence d’un prêtre.
Après quelques coups de fils d’affaires, il remonta auprès de sa femme pour profiter encore du petit. Il se précipite vers son landau en soie bleue claire et enlève le voile le couvrant pour l’admirer
- Je vais commencer à être jalouse… tu te préoccupes plus de ton fils que de moi…
Kamalkali se redressa dans son lit et lui sourit malicieusement, elle était radieuse et mangeait avec appétit constata son mari en voyant son plateau de déjeuné vide. Il s’avance vers elle et lui caresse les joues avant de lui dire en souriant :
- Comment oserai-je !... tu es ma…
- CHOWDERY !!!
Le cri d’un homme dehors ne le laissa pas terminer sa phrase…
- CHOWDERY !!! … je sais que tu es là… je ne partirai pas avant que tu sortes me faire face !
Yash se redresse, jette un œil derrière le rideau et quitte précipitamment la chambre. Sa femme inquiète, se relève difficilement et va regarder à la fenêtre ce qui se passait dehors.
Zahir avait réussit à éloigner chacun des gardes qui avait voulu l’arrêter et se tenant debout devant la porte de la maison le visage fermé aux yeux rouges les bras ballants aux poings serrés, les pieds comme ancrés dans le sol… rien ne présageait de bon… Kamalkali se demandait qui ça pouvait bien être… un autre cri de sa part finit par réveiller le bébé…
Yash sort sur le palier et fait signe à ses gardes de s’éloigner, il reconnait le docteur Khan qu’il a du rencontré une fois ou deux lors de réunions concernant l’état du village.
- Qu’est ce qui se passe ici ? Pourquoi tant de cris…
A sa vue, Zahir a l’impression de sentir son sang bouillir dans ses veines. L’image de sa femme s’impose dans son esprit et les cris du bébé en haut lui rappellent ceux du sien. Les explications d’une voisine lui reviennent :
- Quelqu’un de la part des maitres était venu la chercher en pleine nuit, on avait plus eu de nouvelles. Mais dans la matinée, des passants entendirent des cris de bébé de l’autre côté du lac… on l’avait trouvé dans cet état là, le bébé était encore lié à elle par le cordon…
Il vira alors la foule qui n’avait pas bougé et sorti sa trousse médicale pour essayer de la soigner… des pansements, quelques points de sutures, une perfusion de sérum salé et une batterie de médicaments administrés… elle ne réagit même pas aux injections qu’elle détestait tant ni à son auscultation qui lui donna un diagnostic sans rappel…
- Répondez… vous vouliez me voir, me voilà… que voulez vous ?
La voix de Yash le tira de ses sombres souvenirs, il s’avança vers lui et le défia du regard. Sa voix tremblait de colère quand il lui dit :
- Alzubrah Khan… Aliyah… une femme libre… mariée à un homme libre… de quel droit en avez-vous fait une « putin » !?
- Je ne comprends pas…
- C’est moi qui ne comprends pas… pourquoi ma femme qui avait quitté sa maison en pleine nuit pour venir aider votre femme en toute humanité, sachant pertinemment quels sentiments avez-vous envers elle et ses semblables… pourquoi gise-t-elle agonisante en ce moments souffrant à chaque bouffée d’air respirée… quel crime a-t-elle commis pour subir ça ?
- Qu’est ce que c’est que ce délire !?... votre femme est repartie ce matin saine et sauve…
- Saine et sauve !!... ceci le montre bien…
Zahir lança les lambeaux du sari de sa femme ensanglantés au visage de Yash, ils retombèrent à ses pieds…
- Elle a été frappée… violée… laissée pour morte… elle a fait naitre votre fils dans des draps chauds et propres… mon fils a quitté le ventre de mère pour tomber sur le rugueux sol entourant le lac… comme s’il voulait s’échapper de la mort à la mort…
Devant la stupeur de son interlocuteur, Zahir sort un objet de sa poche qu’il brandit… une longue chaine or qui luisait sous le soleil et où le sceau de la famille Chowdery était dessiné :
- C’est bien la votre, n’est ce pas ?... c’est ce que ma femme serrait dans sa main… alors…
- Vous avez perdu la tête !!! vous croyez que c’est moi qui ai violé votre femme… s’indigna Yash incrédule.
- La police en décidera… oui je vais déposer plainte, parce que je crois en la justice dans ce monde ou dans l’autre… je suis venu pour vous le dire en face, cela suffit à mon égo de male de voir la peur dans vos yeux du scandale que ça pourrait provoquer… vous tuer aurait été trop facile et sans aucun intérêt… je veux arrêter ce genre de pratiques… aucune femme ne mérite ça, et aucun rang ne mérite d’être épargné !
Sur ces dernières paroles, il resserre la chaine dans la paume de sa main et tourne les talons pour prendre le chemin de la ville derrière la colline. Il devait l’atteindre avant la tombée de la nuit.
***
La nuit était tombée quand Aliyah ouvre enfin les yeux, elle essaie de se redresser péniblement mais n’y arrive pas. Sa fidèle voisine accoure l’aider en lui ajoutant un oreiller sous la tête, elle tenait le bébé dans ses bras le berçant pour éviter qu’il se réveille encore. Guère optimiste pour sa survie, elle l’avait nourri au lait de chèvre et changé en lui mettant la tenue que son père avait acheté le matin même, il disparaissait presque dedans tant il était petit.
Quand ses yeux se posent sur le visage de son fils, ses bras couverts de lacérations endoloris se tendent naturellement pour le réclamer trouvant une force insoupçonnable. Les larmes lui viennent dés qu’elle le niche tout près contre son cœur, son visage rose encadré de soyeux cheveux noirs, ses minuscules mains rappelaient qu’il était un enfant prématuré, mais il respire sans gêne et même que quand elle approche une main de la sienne, il s’accroche à son doigt et ne le lâche plus… un costaux… pense-t-elle avec un sourire amer.
Soudain, elle est assaillie par ses souvenirs, ses maux, ses terreurs… elle se met à pleurer, de chaudes larmes qui noyaient le visage de son fils. Son amie avait beau lui répéter de se calmer, qu’il lui fallait être forte, rien ne la consolait… une bribe de souvenir lui revient sur son mari… son amour… il l’avait vu dans cet état… la honte vient s’ajouter à ses malheurs…
C’est alors que les petits yeux de son bébé s’ouvrent et semblent la fixer… sa bouche se moue en ce qui ressemblait à un sourire, elle le lui répond à travers ses larmes qu’elle finit par essuyer pour l’embrasser. Il lui sourit encore et cela comble son cœur meurtri de bonheur… elle ne pleurera plus !
- Je vais lui rechercher du lait, il a surement faim… dit la voisine avant de partir chez elle.
Au bout de quelques minutes, on frappe à la porte…
- C’est ouvert…
Aliyah se demande bien qui ça pouvait être, surement pas son amie puisqu’elle savait qu’elle n’avait qu’à pousser la porte pour entrer. On ne semble pas l’avoir entendu, les coups reprennent…
Elle se tire de son lit en gémissant, tenant son fils d’une main et s’appuyant sur l’autre pour ne pas tomber, elle enlève sa perfusion avant de tenter de se mettre debout. Les mètres séparant son lit de la porte lui semblent des kilomètres et chaque pas réveille ses douleurs et ses vertiges lui donnent une vision trouble.
En ouvrant la porte, ses yeux s’arrondissent de surprise.
- Bonsoir Aliyah-ji… puis je entrer ?
C’était Yash Chowdery !
***
Aliyah n’en croyait pas ses yeux, elle s’essuie le front d’une sueur qui y faisait apparaitre quelques goutes… c’est probablement sa fièvre qui lui donnait des hallucinations.
Elle se cramponne à un meuble à l’entrée pour tenir sur ses jambes en lui faisant signe d’entrer, son bébé toujours serré dans ses bras.
Yash semble désemparé, errant son regard sur la simple décoration de la chambre pour éviter de se focalisé sur les séquelles de ce qu’elle avait subis, il s’éclaircit la voix avant de s’adresser à elle sur un ton qu’elle ne lui aurait jamais imaginé :
- Je… je suis désolée de… de ce qui s’est passé, si je peux faire quoi que ce soit… sa voix était sincère, et il l’était. Il n’avait pas imaginé la trouver dans pareil état.
- Ji… ce n’est pas de votre faute, pourquoi…
- Justement… la coupe-t-il avant de poursuivre :
- Pourquoi, pourquoi votre mari croit que je suis fautif… tu le sais que je ne t’ai rien fait… tu étais sortie de ma maison indemne… je t’ai offert mon bien familiale le plus précieux, jamais je n’aurai imaginé qu’il devienne une accusation d’une telle horreur !
- Accusation ? Zahir vous a…
Elle s’arrête soudain, comprenant ce qui se passait et se rendant compte de ce qui a pu traverser l’esprit de son mari, elle n’avait pas pensé à cette chaine… une panique mystérieuse commence à la gagner, sa tête commence à tourner et elle arrive à peine à se mettre debout. Il se précipite pour l’aider mais n’arrive à surpasser ses préjugés et lui tendre la main, elle réussit finalement à se redresser seule.
- J’éclaircirai ce malentendu dés son retour ji… je ne sais pas où il…
- Il est parti voir la police… oui Aliyah, ton mari veut m’accuser de ton viole ! pure folie… je n’ai rien à voir avec ça, si ce n’était pour éviter les scandales, je le trainerai en justice pour diffamation !
La compassion laisse la place à la colère et l’orgueil de la caste supérieure dans la voix du maitre. Il fulminait et elle aussi…
- Comment osez-vous !?... vous traitez un homme en colère de folie, vous menacez un homme dont l’honneur a été bafouillé de prison…
- Ce n’est pas ma faute !
- Qui l’a dit ?... vous n’avez peut être pas commis les faits, mais je sais que vous vous sentez coupable… parce que vous y avez contribué !
Devant sa mine surprise, Aliyah s’avance vers lui en titubant, elle le regarde droit dans les yeux pour la première fois et lui dit en face le fond de sa pensée :
- Vous le savez que c’est lui… cet ami que vous comptez parmi les vôtres et que vous avez vu m’agresser sous votre toit sans brancher… vous l’aviez vu me frapper sans sourciller, sans doute vous l’avez vu rentrer aux première lueurs du matin le visage greffé !... c’est ce que je pensais !
Finit-elle par dire en le voyant baisser les yeux devant son regard insistant… un long silence passe où une main sur son ventre endoloris, elle essaie de reprendre sa respiration. Il ne trouvait rien à dire, elle avait raison et pour la première fois de sa vie il se sentait si inférieur à une personne comme elle.
- Quoi qu’il en soit, j’ai confiance en mon mari… jamais il n’accuserait un innocent sans preuves…
Elle voulait finir cette conversation malsaine au plus vite, ses jambes ne la retiendraient pas longtemps debout, et cette foutue voisine ne revenait toujours pas.
- Il croit justement en avoir !
- Mais il ne vous nommera pas, pas avant de m’en parler…
- Et que comptes-tu lui dire ?
- La vérité… je n’épargnerai pas cet…
Elle comprend enfin le but réel de la visite du maitre et l’art de sa diplomatie !
- C’est de ça n’est ce pas ?... vous savez que vous n’avez rien à craindre… c’est pour votre réputation, vous ne voulez être lié à cette histoire, ni vous… ni LUI !
- Si tu crois que je te crains toi et ton mari… sache que ma patience a des limites et que si je le veux, je peux évincer tout soupçon avant même son apparition !
Ironiquement, le visage réel de celui qu’elle avait enfin lui donne le sourire. Après la compassion, l’intimidation… il lève sa main comme un juge prononçant une sentence :
- Dis à ton mari ce que tu voudras, mais n’oublie pas que je suis sans pitié quand cela est nécessaire… vous ne trainerez pas ma famille dans la boue pour une…
- Chienne !
La voix d’un autre homme termine sa phrase, une voix qui lui donne la chaire de poule et la fait trembler… elle la reconnaitrait entre mille, c’était lui sans nul doute. Instinctivement, elle resserre son étreinte sur le petit bout de chaire qu’elle avait dans les mains.
- Rakesh ! que fais-tu là ?...
- Je termine ce que tu n’arrives pas à faire, l’ami… je te l’ai dit, tu es trop tendre avec ces gens là !... il n’y a que la force qui les fait marcher, n’est ce pas farouche courtisane ?
Le respectable député apparait dans l’encadrement de la porte, lavé et changé, de ses aventures matinales ne restaient que les traces des ongles de sa victime taillées dans la chaire de son visage. Sa vue et ses paroles révoltent la pauvre Aliyah.
- Tu n’aurais pas du venir, je t’ai dit je m’en occupe…
- Je voulais la revoir… elle m’a bien marqué la coquine…
Il passe sa main sur ses égratignures un sourire sadique sur les lèvres et s’avance vers elle…
- Hé… déjà un petit chiot ?... qu’il ne vienne pas réclamer héritage après ma mort, je sais que je suis excellant, mais pas au point d’engrosser et faire naitre en une journée…
La colère lui donnant une force inhumaine, Aliyah se jette sur lui en lui affligeant des gifles sur le visage, crachant à sa figure salive et paroles :
- Espèce d’animal !!! tu mérites la mort… je t’avais supplié d’avoir pitié non pas pour moi mais pour l’enfant que je portais… un animal… rien de plus qu’…
Un coup la jette à terre laissant son juron en suspend. Rakesh reprend son souffle difficilement et finit par lui cracher dessus en remettant de l’ordre dans ses habits. Une plaie dans sa lèvre se rouvre et le sang commence à en découler
- Rakesh !...
Yash le tire par le bras pour l’éloigner d’elle, ayant l’impression qu’il n’hésiterait pas à la frapper d’avantage, la situation tournait au désastre.
- Va-t-en… attend moi dehors…
Il le pousse vers l’extérieur quand la voix d’Aliyah retentit encore…
- Je plains ta pauvre femme… Si tu étais un homme, tu n’aurais pas besoin de violer pour assouvir tes besoins pervers…
Le touchant de plein fouet, l’homme politique sort une arme de sa poche qu’il pointe en sa direction :
- Sale petite sal*pe !!
- RAKESH ! t’as perdu la tête !
Yash essaie de le raisonner, mais ses yeux jetaient des étincelles et le regard de défi sans peur de proie ne faisait qu’attiser sa haine.
- Laisse-moi en finir, Chowdery !
Aliyah se relève en serrant des dents, elle sentait la fin arriver… si elle devait mourir, elle ne le ferait pas à terre… mais debout et fière comme elle a toujours vécu. Elle voit Yash essayer de lui prendre son arme en le sommant de revenir à la raison, il y arrive enfin mais Rakesh ne renonce pas et continue à se battre pour la reprendre… un premier coup de feu part dans le sol, elle serre Aman contre elle en le regardant… deuxième coup de feu partant dans la pénombre dehors. Cette fois, Yash réussit enfin à prendre l’arme et se redresse triomphant en essayant de reprendre son souffle… il lève les yeux vers Aliyah et la découvre une expression de stupeur sur le visage… les yeux remplis de larmes fixant un point derrière lui… Zahir !
Il se tenait appuyé sur l’encadrement de la porte une main ensanglanté sur son torse. Yash comprenant ce qui c’était passé laisse tomber l’arme à terre… il le regarde s’avancer de quelques pas avant de s’écrouler en murmurant le nom de sa femme.
Elle accourt vers lui et lui prend la tête pour la mettre sur ses genoux… sa plaie était fatale, elle le savait… sa gorge est tellement nouée qu’elle n’arrive à prononcer aucun mot. Il lui sourit de ses dents pleines de sang et essuie ses larmes de sa main avant de la mettre sur la tête de son fils et lui dire :
- Vit… vit pour lui, ma douce… Apprend lui à ne jamais se courber devant personne… il sera un seigneur parmi les siens…
- Pardonne moi… réussit elle à dire entre deux sanglots
- Il n’y a rien à pardonner, je t’aime…
Sa main s’alourdit et tombe signe qu’il l’avait quitté… elle lui ferme les yeux et reste immobile, revoyant leur vie commune comme un film dans sa tête… elle ne pleurait plus.
Deux policiers arrivent, venus prendre la déposition d’Aliyah après la plainte qu’avait déposée son mari, ils sont surpris de découvrir un meurtre dans la maison.
Rakesh prend les devants en leur donnant sa version des faits :
- Voyez vous monsieur l’inspecteur, cette femme avait volé dans la maison de monsieur Chowdery, où elle a été sollicité en urgence pour l’accouchement de madame, quelques objets de valeur, vous savez comment sont ces gens là… quand mon cher ami a découvert cela, il a menacé de la dénoncé et son mari lui avait demandé de venir les récupérer ici… qui savait qu’il nous tendait un piège, malheureusement, en se défendant… le coup de feu l’a atteint, nous vous aurions appelé de toute façon…
- Oh… vous n’avez rien monsieur Chowdery ?
Yash, choqué par le comportement de son soit disant ami, ne répond pas tout de suite, un coup de coude de ce dernier le réveille quand le policier répète sa question !
- Ha… ça va… ça va…
Le policier se dirige vers Aliyah qui était restée inerte écoutant sans étonnement la profanation de la mémoire de son honnête mari.
- Allez !... suivez nous au poste de police, voleuse !
Devant son immobilité, le policier s’apprête à lui donner un coup de bâton sur le dos pour la forcer à se lever, mais Yash l’arrête :
- Non !... je veux dire… je ne dépose pas plainte… ni contre elle, ni contre son mari… laissez là !... oublions juste toute cette histoire si vous voulez bien.
- Vous êtes vraiment un grand seigneur monsieur Chowdery… je voterai pour vous sans aucun doute !
Voter !?... les élections… un sujet qui paraissait bien loin dans l’esprit de Yash à ce moment… comment les choses sont-elles arrivées jusque là ?
- Ah… et toutes mes félicitations pour votre fils, monsieur !
Rohan… lui et cet enfant sont nés le même jour dans des circonstances si différentes… il jette un œil sur le minuscule visage si serein après tant de larmes et voit que la chaine qu’il avait offert à Aliyah lui entourait le cou… dans sa chute, la main morte de son père l’y avait glissé.
Les policiers étaient repartis, les villageois s’étaient rassemblés dehors encore une fois après avoir entendu les coups de feu. Bientôt les deux seigneurs quittaient la maison Khan en silence… un silence qui allait y planer pendant les trente années à venir.